Le Beau, Nature ou Culture

Cet article est extrait de L’ Intemporel Magazine pour lequel je rédige en tant que Chef de la rubrique Style.
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Imaginez que lors de votre prochain événement mondain vous soyez affublé d’un justaucorps, de jabots à dentelles, d’un frac brodé, d’une perruque extravagante et même d’une fraise autour de votre cou.

Cauchemardesque, n’est-ce pas ? Au premier sens du terme. Et si non seulement vous deviez porter cet accoutrement, mais que de surcroît vous en ressentiez de la fierté, ce serait une situation plus qu’irréaliste.

C’est pourtant ce que ressentaient les hommes évoluant dans les hautes sphères de la société française entre le XVIe et XVIIIe siècle. Certes, l’eau a fait plus que couler sous les ponts depuis lors, et cela illustre les courants de la mode, qui se renouvellent et meurent constamment.

Il est indéniable que la culture a un impact considérable sur l’habit aussi bien féminin que masculin, qu’elle semble déterminer ce qui est inacceptable de porter, ce qui est beau et ce qui ne l’est pas.

Cette culture, changeante, ferait du beau une variable inconstante qui changerait au gré des évolutions de valeurs et de société. C’est une interprétation tout à fait viable, mais qui pousse naturellement à renoncer à accorder de l’importance à l’habit faute d’importance, qui devient simplement fonctionnel bien qu’indispensable, presque profane.

L’autre variable vit dans l’individu, ses goûts et sa façon de les exprimer dans ses tenues. Parfois hérités, souvent influencés, il n’empêche l’individu d’être inexplicablement attiré par certaines choses plutôt que d’autres, et de les adopter dans son style de vie. Des goûts reflétant la définition personnelle d’un beau.

On sait déjà que le vêtement est un marqueur d’appartenance social fort, mais qui du cercle social ou des goûts individuels influencent l’autre ? Se rapproche-t-on inconsciemment ou même volontairement d’un cercle avec lequel on partage une définition du beau ou bien est-ce notre cercle qui influence nos goûts ?

Si l’on considère la première hypothèse, ce serait notre quête d’expression de nos goûts et de notre beau personnel qui nous pousserait vers des nouveaux cercles sociaux, avec des marqueurs d’appartenance communs ou similaires. De quoi changer toute une trajectoire de vie. Nous sommes déjà bien loin du caractère profane du vêtement en ce sens.

Néanmoins au delà de l’individu, il existe des constantes au beau qu’on retrouve dans la plupart des Arts qui traversent les époques sans encombre – les perspectives, la composition, les proportions, les agencements de couleurs… Comment expliquer autrement que des pièces de l’Antiquité suscitent autant de contemplation de nos jours que depuis leur création ?

Ces constantes immuables s’adaptent tout à fait au vêtement. Que ce soit les combinaisons de textures, de matières et de couleurs, camaïeu ou complémentaires, contrastes et faux accords : en ce qui concerne la théorie des couleurs, ce qui fonctionnait il y a des milliers d’années fonctionnent toujours aujourd’hui, et fonctionnera demain, l’inverse étant également vrai.

Autre constante de l’humanité durant toute son Histoire : nous sommes tous à peu près flanqués de la même façon. En bref, des mammifères avec une tête, un torse, deux bras et deux jambes. Et c’est ce corps qui n’a pas changé au cours des siècles que nous devons habiller.

Paradoxalement, cela relève davantage du domaine scientifique, l’opposition entre le concret froid de la physique et le subjectif du beau.

De cette contrainte naît la créativité comme dans tous les domaines, en témoignent le défilé effréné de tendances et de modes, de pieds et de contre-pied des créateurs. Mais sur ce modèle fixe s’est construit au fil du temps le vêtement qui sied le mieux au physique masculin : le costume

Le costume n’est que la dernière itération de l’habit masculin, une lente évolution perfectionnée pour mettre en valeur le corps de l’homme : un pantalon, une veste à revers, une chemise, avec parfois un accessoire autour du cou.

Cependant c’est sur les détails et les proportions que l’on a constaté du changement. Tantôt ample et généreux, aujourd’hui proche du corps. Un revers qui élargit le buste ou qui l’allonge, un cran plus ou moins bas, une jambe fuselée ou bien droite : tout cela, c’est la coupe.

Si visuellement il y a certes des différences qui permettent de replacer les pièces à une époque précise, la formule d’origine a en réalité très peu évoluée depuis sa première apparition. Le costume actuel ne semble pas avoir de successeur, mais plutôt des variations. Y aura t-il une prochaine itération ?

Si le vestiaire masculin ne s’est pas approfondi davantage dans le costume, il s’est en revanche élargi de façon considérable. Nouvelles matières, nouvelles pièces, héritées ou inspirées du domaine militaire, du vêtement du travail, de la pop-culture ou même de la science-fiction.

La diversité est aujourd’hui bien plus présente et l’importance moindre accordée au vêtement et la relaxation de la tenue de travail a permis de libérer l’expression personnelle des goûts, créant davantage d’inspirations incarnant des embranchements qui ont donné naissance aux différents styles contemporains. L’uniforme n’est plus de mise ! Le style masculin et le beau n’évolue plus vers une seule direction, on assiste à sa ramification.

Dès lors, le beau vêtement ne peut plus se targuer d’une définition fixe, mais se définirait par individu, qui se retrouve et s’épanouit au sein d’un groupe qui partage tout ou partie de sa définition du beau.

Le beau est aussi bien un costume bien taillé, qu’un jean bien riveté, ou qu’une veste synthétique performante bardée de finitions techniques. Tout dépend des critères de beauté que chacun s’efforce de poursuivre. Et rien de tout cela n’est exclusif, car un individu peut décider de suivre des influences diverses, et ce de façon parallèle.

Enfin, qu’en est-il du beau dans le vêtement ? Universel et intemporel à la façon des œuvres d’antan, appuyé par des lois éprouvées de la physique ? Culturel, changeant, variable, dans une constante évolution avec son temps, au fil des tendances qui restent impossibles à prédire? Ou simplement l’accord de goûts individuels variés mais qui s’unissent au sein de cercles partageant la même définition?

Dans ce cas, le beau serait pluriel, et indéfinissable de façon à ce que rien ne puisse l’éprouver. Une incertitude conflictuelle ou chacun, persuadé que sa propre définition est indéniable, et incompatible avec celles d’autrui, chercherait à imposer sa vision du beau dans la société.

L’adversité d’opinions est ce qui permet le changement. Cette confrontation perpétuelle de définitions plurielles du beau pourrait être ce qui le fait évoluer vers d’autres définitions, sans jamais que sa nature intrinsèque n’en soit modifiée pour autant.

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Un Commentaire

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